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AGNES KOZMA CAMPANERUT

Les mots, 

 

J’en découvris toute la beauté à 11 ans grâce à un enseignant de français passionné. Les mots me firent la courte échelle pour que je pusse en quelque sorte émerger de ma timidité extrême quelques heures par semaine lors de ces cours que j’attendais avec tellement d’impatience ! J’étais comme emportée par la magie des textes que nous étudions. Il me tardait d’exprimer, malgré les moqueries de mes camarades, toute cette émotion qui courait dans mes veines. A cet instant-là, la force des mots se distillait dans tout mon être et me donnait le courage de lever la main pour prendre la parole. 

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Je me mis ensuite à arpenter avec passion tous ces horizons qui s’ouvraient à moi livre après livre. Ce fut à travers ces lectures que se déploya sous mes yeux l’opulence de la vie. Les mots étaient comme un miroir sans tain derrière lequel j’apprivoisais, à l’abri des regards, ce monde qui m’inquiétait tant.

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Puis, comme beaucoup, j’orientai ce miroir dans ma direction. Les mots se mirent à refléter mon climat intérieur. Tout y passa : de l’histoire improbable d’un héros à l’incontournable journal intime où palpitent les prémisses de l’amour (de préférence impossible ou malheureux...), je me mis à écrire avec frénésie. Les rives de ma jeune vie dont la surface commençait à s’agiter virent éclore, ici et là, d’insolents narcisses tout occupés à se mirer dans l’eau... Nécessaire arrêt sur soi auquel les mots font écho. Mais on ne peut passer son temps à s’extasier de son propre écho.

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Petit à petit, je me mis à explorer d’autres possibles : ma soif de reconnaissance me poussa à prêter ma plume pour aider des proches ou des connaissances à résoudre un problème. En marge d’une activité sans relief, je cherchai un peu de reconnaissance au travers des mots qui m’avaient tant apporté sans vraiment y trouver de joie durable.

 

Il m’aura fallu des années d’errance pour comprendre où était ma joie véritable : prêter sa plume, voilà ma première erreur : le prêt réduit l’amplitude de l’âme parce qu’il signifie contrepartie. Or, durant toutes ces années, ce sont ces écrits réalisés sans attentes particulières qui m’ont donné le plus de joie ! Une écriture au service des autres qui enfin fait écho à mes convictions les plus profondes. 

 

Il y a quelques semaines, j’ai rédigé avec Sesili, une jeune femme Georgienne, sans papiers, un discours à l’occasion de la journée des migrants. Cela fait bientôt 3 ans que je suis aux côtés de cette jeune femme et de sa famille. L’affection qui nous lie a eu raison de la barrière de la langue. Ce que nous avons écrit ensemble a fait voler en éclat des mois de frustration pour elle : frustration de ne pas pouvoir dire qui elle était, combien elle souffrait. Si elle a d’abord trébuché sur certains mots qu’elle ne connaissait pas en répétant ce discours chez elle, elle les a ensuite accueillis avec une joie et une émotion qui ont gagné toute l’assemblée présente quand elle a lu à haute voix son témoignage. Les mots l’ont affranchie de la servitude du silence résigné qui souvent envahit celui qui ne sait comment exprimer ce qui l’anime, que ce soit dans une langue étrangère ou dans sa propre langue. Sesili a pu se révéler dans toute sa richesse et sa profondeur. Ce qui lui a donné le plus de joie c’est de découvrir la traduction française d’un mot : dignité…

 

Savoir faire silence pour accueillir l’autre... Pareils à l’écume des vagues, née de la quintessence marine, que ces mots puissent capter les remous de l’âme et en révéler toute la beauté vaporeuse.

 

C’est ce qui m’anime aujourd’hui dans ce parcours que je partage avec Eric Mousseron Dufort afin de donner corps à l’invisible souffrance et à l’inaltérable foi en l’amour. 

 

 

Agnès Kozma Campanerut

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